L'information avait peu circulé et c'était presque par hasard que nous avions appris l'existence de ce séminaire. Pourtant, le sujet semblait passionnant et, étant disponible ce jour là, nous ne pouvions manquer d'y assister afin, au minimum, d'en rédiger un petit compte-rendu pour nos fidèles lecteurs !
La salle de l'IAP affectée au séminaire était presque vide quand nous arrivâmes,
Simone et moi, sur les lieux. Nous étions un peu en avance. Il semblait clair
que Pierre Lagrange prononcerait son exposé devant un auditoire des plus réduit.
Nous nous trompions : il ne fallut que quelques minutes pour que la salle se
remplisse complètement d'un public partagé entre étudiants et chercheurs, au
point qu'il n'y eut bientôt plus assez de sièges pour tout le monde.
Nous laisserons au lecteur le soin de méditer sur le fait qu'un tel intitulé
de séminaire puisse attirer autant de scientifiques...
Pierre Lagrange (photo Adélaïde Robert-Géraudel) |
C'est un Pierre Lagrange (PL) calme et décontracté qui pénétra à l'heure dite dans la salle de conférence. Il avait apporté un certain nombre d'ouvrages de références. Nous avons notamment remarqué le livre de William R. Corliss "Remarkable luminous phenomena in Nature" qui semble bien intéressant pour qui maîtrise un peu la langue anglaise.
Voici maintenant un petit résumé des propos de PL.
L'exposé débute par une petite explication sur ce qu'est la sociologie des sciences ou anthropologie des sciences. Comme le sociologue Bruno Latour, qui fut son professeur, PL pense que le travail scientifique est, en général, assez proche du bricolage. Mais la sociologie des sciences n'est pas une critique de ces dernières. Son but est plutôt de comprendre ce qu'est la pratique scientifique. Pour ce faire, l'étude des controverses scientifiques paraît un moment privilégié pour analyser le mécanisme de la progression de la pensée scientifique. Car pour résoudre une crise dans un sujet donné, le monde scientifique sera amené soit à changer de paradigme, soit à rejeter des théories jugées fausses.
Ceci amène le conférencier à étudier le cas des amateurs qui ramènent aux scientifiques des faits à expliquer. Ces faits rentrent-t-ils dans une démarche scientifique ou n'intéressent-t-ils que les tenants de parasciences plus ou moins obscures ? Et qu'est-ce donc qu'une parascience ? Comment décide-t-on ce qui est scientifique ou pas ? A ce stade de l'exposé, PL ne répond pas à la question.
PL entre maintenant dans le vif de son sujet : les caractéristiques des controverses ovni et ce, sans a priori sur ce qui pourrait être vrai ou non.
Pour PL, il faut étudier l'univers matériel des intervenants afin de rechercher les petites causes qui provoquent de grosses différences dans la perception du phénomène. Ainsi, selon PL, au début de 1947, ce n'est pas le climat de tension internationale qui provoqua l'apparition des témoignages d'ovnis. Un acteur comme le président américain Harry Truman a effectivement participé à l'instauration de la guerre froide. Et dans ce contexte, le fameux Kenneth Arnold, qui rapporta l'observation d'objets volants ricochant comme des soucoupes (d'où le terme inadapté de soucoupe volante), ne fut pas simplement influencé par le contexte mondial mais il participa bel et bien à l'ambiance du moment...
Harry S. Truman | Kenneth Arnold |
Comment la sociologie va-t-elle nous aider dans l'étude de la controverse ? En
écoutant l'ensemble des acteurs, sachant que la parole d'un acteur n'a pas le même
poids selon qu'il est scientifique, journaliste ou témoin.
Les données disponibles sur les ovnis proviennent essentiellement de témoignages.
Or les scientifiques n'ont pas - ou plus - l'habitude de travailler
sur des témoignages. Ils préfèrent les données observationnelles mesurables,
reproductibles, etc.
De plus existe-t-il un vrai problème sur la subjectivité des témoignages.
Contrairement aux domaines scientifiques habituels, il est très difficile de
faire la part entre les phénomènes réellement observés et les artefacts.
Selon PL, de là est née la controverse sur l'existence des ovnis : les
témoins voient-ils ou non des artefacts ? On n'en sort pas !
A la différence de la science, l'ufologie n'a pas su se doter d'outils d'analyses adaptés. Les acteurs reviennent constamment sur les témoignages et la controverse continue.
PL évoque ensuite brièvement d'autres acteurs qui interviennent en ufologie. Par exemple Raël, mais ce n'est pas du tout le même univers ! Tout au plus peut-on se demander pourquoi des gens sont amenés à croire ce genre de discours. Il y a aussi le cas des contactés. En général, ces derniers ont un message à délivrer, contrairement à la logique des ufologues ou scientifiques.
Pourrait-on imaginer des procédures permettant de rendre l'ufologie intéressante aux scientifiques ? s'interroge PL. (Visiblement le sujet lui tient à coeur.)
Il se trouve que les ufologues se font une idée décalée du monde scientifique. En effet, les scientifiques ne s'intéressent pas automatiquement aux phénomènes bizarres et mystérieux, contrairement aux ufologues qui, comme dans les cabinets de curiosités d'antan, collectionnent les énigmes et phénomènes inexpliqués.
Un cabinet de curiosité du XVIIIe siècle |
Comment rendre la curiosité des ovnis "intéressante" selon le paradigme scientifique ? Sur ce point, PL aime à rappeler l'exemple des météorites de Biot et il n'a pas manqué de le faire ici : en 1803 Jean-Baptiste Biot démontra au monde scientifique de l'époque l'existence des "pierres qui tombent du ciel" qui n'étaient connues auparavant que par de rares témoignages. Pour ce faire, Biot n'a pas rapporté les différents racontars circulant sur le sujet mais il les a traduits pour illustrer sa théorie de corps célestes traversant l'orbite de la Terre. Ne faudrait-il pas, demande de même PL, retraduire les témoignages du phénomène ovni pour le rendre intéressant au yeux des scientifiques ?
Jean-Baptiste Biot |
PL ajoute un point important : il faudra aussi apprendre comment les témoins perçoivent le ciel. Car le ciel "réel" est très différent du ciel "intellectuel" véhiculé par la vulgarisation scientifique. Tout un chacun sera capable de reconnaître sur une image un ballon-sonde ou la planète Vénus. Mais ces représentations stylisées ont peu de points communs avec ce que l'on peut voir effectivement dans des conditions réelles. Et cette remarque, selon PL, vaut aussi pour les scientifiques. Comme, par exemple, pour un astronome habitué à scruter des portions de ciel très étroites avec des instruments surpuissants mais qui ne sait pas (ou plus) ce qu'est l'observation à l'oeil nu...
La planète Mars | Vue de Mars dans le ciel |
Et PL termine son exposé sur cette question : pourra-t-on imaginer une passerelle entre l'ufologie et le monde scientifique à l'instar de l'astronomie amateur qui a su se forger une respectabilité face à l'astronomie professionnelle ?
La conférence, remarquable, de M. Lagrange était terminée. Quelques questions fusèrent dans l'assistance, ce qui permit à l'orateur de préciser son propos.
Les habitués du monde ufologique n'auront pas manqué, à la lecture de ce petit résumé, de reconnaître certains thèmes développés par Pierre Lagrange dans des articles disponibles sur la toile. Ce qui nous a paru nouveau, c'est que Lagrange semble sincèrement animé du désir de réunir une communauté scientifique la plus large possible autour de la problématique ovni. En espérant sortir - enfin - de toute controverse et de faire progresser la connaissance du sujet. C'est une démarche qui ne peut que plaire à l'UFOCOM et nous lui souhaitons bonne chance dans son entreprise.
Certes, certains ufologues convaincus de l'origine extraterrestre des ovnis ou d'autres plus inquiets d'une possible mainmise américaine sur le dossier trouveront sans doute les propos de PL bien timides. Néanmoins, il nous semble que l'approche de Pierre Lagrange est courageuse et novatrice et que, dans tous les cas de figures, l'étude des ovnis ne pourra que progresser.
Pour le plus grand bien de tous.