Alphonse-Louis Constant, dit
Eliphas Lévi
(1810 -1875)
Alphonse-Louis
constant naquit le 8 février 1810, au n° 5 rue des Fossés-Saint-Germain-des-Près
(devenue depuis
rue de
l'Ancienne Comédie) à Paris. Son père était
cordonnier. Grâce à l'abbé J.-B. Hubault Malmaison,
qui avait
organisé
dans sa paroisse un collège dispensant gratuitement les bases de
l'instruction aux enfants pauvres, il fait ses
premières
études, puis entre en 1825 au petit séminaire Saint-Nicolas
du Chardonnet, dirigé alors par l'abbé
Frère-Colonna,
qui l'oriente peut-être déjà vers l'étude de
la magie. En 1830, ayant terminé sa rhétorique, il passe
selon
la règle au séminaire d'Issy pour finir ses deux années
de philosophie. La mort de son père intervient cette
même
année. Après Issy, il aboutit au séminaire de Saint-Sulpice
pour faire sa théologie. Il y est ordonné
sous-diacre
et tonsuré. En 1835, alors qu'il a la charge de l'un des catéchismes
de jeunes filles de Saint-Sulpice, la
jeune
Adèle Allenbach lui est confiée par sa mère, avec
mission de "la protéger tout spécialement et de l'instruire
à
part,
comme si elle était la fille d'un prince".
Sa mère,
fervente catholique et épouse d'un officier suisse, avait émigré
en France en 1830
parce
que la religion de sa fille lui semblait menacée, et toutes deux
vivaient depuis dans un
grand
dénuement.
Ci-contre, portrait de 1836.
Note :
D'autres portraits d'Eliphas Lévi et de personnages qui le côtoyèrent
sont à retrouver dans son
album,
suivez pour cela le lien au bas de cette page.
Le jeune
abbé tombe peu à peu éperduement amoureux de sa protégée,
en qui il croit voir la Sainte Vierge apparue
sous une
forme charnelle. Ordonné diacre le 19 décembre 1835, il quitte
finalement le séminaire en juin 1836 avant
de recevoir
le sacrement de l'ordre; mais entre-temps la jeune fille pour laquelle
il s'était perdu l'a délaissé.
Sa vieille
mère infirme, qui avait mis toutes ses espérances en lui,
fut très abattue par le départ de son fils du
séminaire
et se suicida quelques semaines plus tard en s'asphyxiant avec les émanations
de son réchaud à charbon.
A. Constant
a un instant l'idée d'entrer à la Trappe, mais ses amis l'en
détournent. Il passe une année dans un
pensionnat
près de Paris, puis accompagne un ami comédien ambulant nommé
Bailleul dans une tournée en
province.
En 1838,
il se lie d’amitié avec la socialiste Flora Tristan, et collabore
avec Alphonse Esquiros, rencontré au petit
séminaire,
à une revue: Les Belles Femmes de Paris, qui révèle
au public ses dons de dessinateur. Alors qu'il
parcourt
les salons pour sa revue, il fait un jour la connaissance d'Honoré
de Balzac, alors en pleine gloire, chez
Mme de
Girardin.
Songeant
encore à accéder à la prêtrise, il part pour
l’abbaye de Solesmes, bien résolu à y passer le reste de
ses
jours.
L'abbaye possédait une bibliothèque d'environ 20 000 volumes,
dans laquelle il puisa abondamment. Il étudie
la doctrine
des anciens gnostiques, celle des Pères de l'Eglise primitive, les
livres de Cassien et d'autres ascètes, les
pieux
écrits des mystiques, et spécialement les livres de Mme Guyon.
Durant son séjour, il fait paraître son premier
ouvrage:
Le Rosier de Mai (1839). A cause d'une mésentente avec l'abbé
de Solesmes, A. Constant quitte
finalement
l'abbaye au bout d'un an, sans le sou.
En intercédant
auprès de l'archevêque de Paris, Mgr Affre, il finit par obtenir
un poste minable de surveillant au
collège
de Juilly. Ses supérieurs le maltraitent, et dans son écœurement
il compose, au grand scandale du clergé et
des bien-pensants,
La Bible de la liberté (1841). L'ouvrage parut le 13 février
et fut saisi à Versailles une heure
après
sa mise en vente. Un grand nombre d'exemplaires purent tout de même
être sauvés, et l'abbé Constant fut
arrêté
dans les premiers jours du mois d'avril. Le procès eut lieu le 11
mai 1841, l'abbé fut condamné à 8 mois de
prison
et 300 Francs d'amende. A la prison de Sainte-Pélagie, où
il passe 11 mois (n'ayant vraisemblablement pas
de quoi
régler l'amende...) il retrouve son ami Esquiros et l'abbé
de Lamennais. Tous les moyens sont employés
pour le
faire mourir de chagrin et de misère. On intercepte ses lettres
pour en dénaturer le sens, l'accuse d'être un
vendu
à la police, et il doit en outre subir l'animosité de certains
autres détenus. Il cherche dans la lecture des
consolations,
lisant pour la première fois les écrits de Swedenborg. Mais
ses amis du dehors ne l'oublient pas. Une
certaine
Mme Legrand, très riche amie de Flora Tristan, fait en sorte d'adoucir
l'ordinaire du prisonnier en lui faisant
porter
une nourriture plus variée.
A sa sortie
en avril 1842, il obtient une commande de peintures murales pour l'église
de Choisy-le-Roy grâce à
l'aumonier
de Sainte-Pélagie. En 1843, habitant le presbytère de Choisy,
il commence l'écriture de La Mère de
Dieu.
Sa conduite est si exemplaire, que Mgr Affre décide de le recommander
à Mgr Olivier, évêque d'Evreux.
L'évêque
est prêt à accueillir l'abbé à condition qu'il
change son nom pour celui de sa mère, afin d'éviter tout
scandale
en rapport avec l'affaire de La Bible de la liberté.
C'est donc
l'abbé Baucourt qui part pour Evreux en février 1843. Ses
prédications y rencontrent un grand succès et
suscitent
beaucoup de jalousies parmi les prêtres du diocèse. Au mois
de juin le journal L'Univers annonce la mort
de l'Abbé
Constant, information démentie ensuite par Le Populaire, puis le
22 juillet 1843 paraît dans l'Echo de la
Normandie
un article intitulé Le Nouveau Lazare dans lequel est dévoilée
toute l'histoire de l'Abbé Baucourt: son
identité,
son procès et sa condamnation. Obligé de sortir du séminaire,
il n'est pas oublié par l'évêque d'Evreux qui
pourvoit
à sa subsistance et cherche encore à l'aider par la commande
d'une peinture murale pour un couvent.
Malheureusement,
Mgr Olivier est très affligé par la sortie de La Mère
de Dieu (1844), et fin février 1844, l'abbé
retourne
à Paris en laissant sa peinture inachevée.
Il revoit
son amie Flora Tristan, qui mourra peu de temps après à Lyon.
Il hésite longtemps avant de publier le
manuscrit
intégral de Flora Tristan, pensant qu'on l'en rendrait responsable,
abandonne finalement le projet et édite
le premier
manuscrit sous le titre: L'Emancipation de la Femme ou Le Testament de
la Paria. A l'automne 1844,
Mme Legrand
lui demande de venir à Guitrancourt afin d'achever l'éducation
de ses enfants. Il y demeure un an puis
retourne
à Paris et fait paraître son manifeste pacifique, inspiré
par Silvio Pellico: La Fête-Dieu ou le Triomphe de
la Paix
religieuse (1845).
Les idées
utopistes et humanitaires du temps l’absorbent alors tout entier. Deux
mouvements surtout suscitent de sa
part de
profondes et longues méditations: le Saint-Simonisme et le Fouriérisme.
"L'école Saint-Simonienne, malgré ses qualités estimables,
m'a toujours inspiré une vive répulsion. Ils
ont de la vraie religion tout excepté l'esprit de piété;
leur femme libre me fait horreur et ils ne peuvent
comprendre la charité puisqu'ils méconnaissent l'amour. Ils
sont froids comme l'industrialisme,
tranchants, despotes et calculateurs. Je me fâche quand je les vois
toucher si près à nos grandes vérités
que leur sécheresse de cœur compromet et profane. Enfantin a certainement
des aperçus remarquables
mais il est plein d'égoïsme et de fatuité" (Correspondance
avec le baron Spedalieri)
"Fourrier retourna le système de Swedenborg, pour créer sur
la terre le paradis des attractions
proportionnelles aux destinées. Par les attractions il entendait
les passions sensuelles auxquelles il
promettait une expansion intégrale et absolue. Dieu, qui est la
suprême raison, marqua d'un sceau
terrible ces doctrines réprouvées: les disciples de Fourrier
avaient commencé par l'absurdité, ils finirent
par la folie." (Histoire de la Magie, p.470)
En 1845,
dans Le Livre des larmes, il développe pour la première fois
des notions ésotérisantes. Durant cette
période
il compose aussi des chansons et illustre deux ouvrages d'Alexandre Dumas:
Louis XIV et son siècle et Le
Comte
de Monté-Cristo. Adèle Allenbach, devenue actrice, vient
le voir souvent. Elle conserva toujours la même
admiration
pour son "petit-père" dont elle accompagna le cercueil jusqu'à
sa dernière demeure.
A. Constant
habite quelques temps à Chantilly, puis revient se fixer à
Paris, au n° 10 de la rue Saint-Lazare. Il
devient
l'ami de Charles Fauvety et les deux hommes fondent en 1845 la revue mensuelle:
La Vérité sur toutes
choses.
Celle-ci ne parut que pendant 4 mois.
Depuis
son retour d'Evreux, il se rendait fréquemment à Choisy-le-Roy
où il avait rencontré en 1843 Mle Eugénie
Chenevier,
sous-maîtresse à l'Institution Chandeau. Parmi les pensionnaires
de l'Institution se trouvait la jeune
Marie-Noémi
Cadiot, à laquelle Eugénie s'était liée d'amitié.
Lorsque les deux jeunes filles sortaient le dimanche, A.
Constant
les accompagnait, et ils passaient tous trois de bons moments.
Eugénie
Chenevier accepta d'être sa
femme
devant Dieu. Confiante en
l'avenir,
elle s'était déjà donnée à lui et
attendait
un enfant. Ce fils, Xavier
Henri
Alphonse Chenevier, qui naquit
le 29
septembre 1846, vécut jusqu'en
1916,
et eut lui-même un fils, Pierre
(par la
ligne d’Eugénie, la descendance
d’Eliphas
Lévi représente aujourd’hui
plus de
40 personnes, à la sixième
génération).
A gauche,
Eugénie Chenevier.
A droite,
Madame A.-L. Constant,
née
Marie-Noémi Cadiot.
Mais Marie-Noémi
Cadiot tomba amoureuse... Après avoir entretenu une correspondance
enflammée avec A.
Constant,
elle s'échappe un beau jour de chez ses parents pour aller se réfugier
dans la mansarde de celui-ci. Son
père
exige alors le mariage, sous la menace d'une accusation de détournement
de mineure, car la jeune fille n'avait
alors
que 18 ans. A. Constant dut se résigner.
La cérémonie
civile eut lieu à la mairie du Xème arrondissement, le 13
juillet 1846. La famille Cadiot n'avait pas
voulu
doter Noémi, et les deux époux étaient tellement dénués
de ressources qu'ils firent leur repas avec quelques
sous de
pommes de terres frites achetées sur le Pont-Neuf.
Depuis
l'affaire de La Bible de la liberté (1841), on empêchait A.
Constant d'exprimer sa pensée en lui refusant
l'insertion
dans les journaux. A l'instigation Noémi, il se remet à faire
de la politique. Il collabore notamment à La
Démocratie
Pacifique, et écrit un pamphlet virulent: La Voix de la famine.
Le 3 février 1847, on le condamne
encore
à un an de prison et 1000 Francs d'amende. Sa femme demande grâce
pour elle et l'enfant qu'elle porte
auprès
des ministères et obtient finalement sa libération au bout
de 6 mois. Mme Constant accouche en septembre
1847 d'une
fille, Marie. La petite Marie mourra en 1854 à l'âge de 7
ans, au grand désespoir de A. Constant qui
l'adorait.
La révolution
de février 1848 lui donnant plus de liberté, il commence
à diriger une revue gauchiste: Le Tribun du
Peuple,
qui n'eut que quatre numéros, du 16 au 30 mars 1848. Il fonde ensuite
avec ses amis Esquiros et Le Gallois
un club
politique: le Club de la Montagne, composé surtout de travailleurs.
Arrivent les journées de juin,
insurrection
des classes laborieuses amenée par la réaction pour faire
périr la République naissante. Le 23 juin 1848
faillit
être fatal à A. Constant: on fusilla, croyant avoir affaire
à lui, un marchand de vin qui lui ressemblait au coin
de la
rue Saint-Martin et de la rue d'Arcis. Le 24, Mgr Affre, voulant apaiser
les insurgés, reçut une balle et mourut
trois
jours plus tard. A. Constant désirait représenter le peuple
à l'Assemblée Nationale, mais sa tentative échoua.
Son ami
Esquiros fut en revanche élu le 13 mai 1849, et les deux hommes
ne se fréquentèrent plus. Le Testament
de la
Liberté (1848), qui résume ses idées politiques, sera
son dernier ouvrage du genre. A cette époque, Madame
Constant,
qui avait déjà publié dans la revue de son mari et
fréquenté le Club des Femmes de Mme Niboyet, se
lance
dans le monde parisien. Elle écrit dans Le Tintamarre et Le Moniteur
du Soir des feuilletons littéraires sous
le pseudonyme
de Claude Vignon (tiré d'un roman de Balzac). C'est une période
de relative aisance pour le couple.
Noémi
prend des leçons du célèbre sculpteur Pradier, et
grâce à cette haute relation A. Constant obtient deux
commandes
de tableaux du Ministère de l'Intérieur.
Parallèlement,
il lit la Kabbala Denudata de Knorr de Rosenroth, étudie les écrits
de Boehme, Saint-Martin,
Swedenborg,
Fabre d'Olivet, Chaho, et Gœrres.
Fin 1850,
il rencontre l’abbé Migne, fondateur et directeur de la librairie
ecclésiastique de Montrouge, qui lui
commande
pour sa collection un Dictionnaire de la littérature chrétienne.
Paru en 1851, l'ouvrage étonne par la
science
profonde qu'il renferme. Vers cette époque A. Constant rencontre
le savant polonais Hoëné Wronski, dont
l’œuvre
fait sur lui une impression durable et l’oriente vers la pensée
mathématique et le messianisme napoléonien.
Commence
alors la rédaction du Dogme et rituel de la Haute Magie. Il prend
le pseudonyme d’Eliphas Lévi, ou
Eliphas
Lévi Zahed (traduction en hébreu de Alphonse-Louis Constant).
"La foi n'est qu'une superstition et une folie si elle n'a la raison pour
base, et l'on ne peut supposer ce
qu'on ignore que par analogie avec ce qu'on sait. Définir ce qu'on
ne sait pas, c'est une ignorance
présomptueuse; affirmer positivement ce qu'on ignore, c'est mentir".
(Dogme et Rituel de la Haute Magie, p. 360).
A gauche, le Prognomètre de Wronski,
machine mathématiquo-philosophique,
qu'Eliphas eut un jour le bonheur de découvrir
chez un brocanteur. Cette machine était
censée permettre de calculer les probabilités
des faits présents, passés, et à venir, pour en
venir à déterminer la valeur de tous les x
imaginables. Il semblerait que cette machine
soit aujourd'hui détenue par les descendants
de Papus. A droite, Hoëné Wronski.
Mme Constant,
qui avait une liaison avec le marquis de Montferrier (beau-frère
de Wronski) depuis quelques
temps,
s'enfuit un jour pour ne plus revenir. Profondément blessé,
il se remet au travail pour tenter d'échapper au
chagrin.
Au printemps
1854, il se rend à Londres, y rencontre le Dr. Ashburner et Sir
Edward Bulwer-Lytton, célèbre
auteur
de romans fantastiques (Zanoni, le Maître Rose-Croix est son ouvrage
le plus connu), qui devient son ami et
le fait
admettre au sein des cercles rosicruciens. Encouragé par une amie
de celui-ci initiée de haut grade,il tente une
série
d'évocations. Au cours de l'une d'elles, le fantôme d’Apollonius
de Tyane lui apparaît en lui indiquant l'endroit
de Londres
où il pourrait trouver son Nyctemeron (cf. le récit du séjour
dans Dogme et Rituel de la Haute Magie,
pages
132 à 135). Pourtant Eliphas Lévi demeurera toujours opposé
aux expériences de magie. Quand plus tard il
eut quelques
disciples, il leur fit promettre de ne jamais tenter la plus petite expérience
et de ne s'occuper que de la
partie
spéculative de la philosophie occulte.
Mle Eugénie Chenevier était à Londres depuis quelques
années, où elle gagnait péniblement de quoi élever
son
enfant. A. Constant lui écrivit pour lui demander son pardon
et il l'obtint. Pendant ce temps à Paris, son ami Adolphe
Desbarolles prend avec l'ex-Mme Constant les arrangements
nécessaires et fait déménager les affaires personnelles
du
Maître.
A gauche : Sir Edward Bulwer-Lytton; à droite: l'être
de la vision, d'après le carnet d'Eliphas.
Revenu
en France en août 1854, Eliphas loge quelques temps dans l'atelier
de peintre de son ami Desbarolles, puis
habite
une modeste chambre d'étudiant au 1er étage du n° 120
boulevard du Montparnasse, où il achève Dogme et
rituel
de la Haute Magie, qui paraît de 1854 à 1856. Alors commence
le succès, mais non la fortune.
En 1855,
il fonde avec Fauvety et Lemonnier la Revue Philosophique et Religieuse
qui paraîtra pendant trois ans
et dans
laquelle il écrit de nombreux articles sur la Qabbale. Délaissant
un peu la philosophie occulte, il se remet à
composer
des chansons. L'une d'elle, dans laquelle il compare Napoléon III
à Caligula lui vaut une nouvelle fois la
prison.
Mais quelques jours après son incarcération il écrit
une autre chanson où il explique satiriquement que les
juges
ont commis une méprise, qu'il n'a jamais comparé personne
à Caligula, et la fait porter à l'empereur qui lui
pardonne.
D'avril à juin 1856 il publie des chansons dans Le Mousquetaire
d'Alexandre Dumas grâce à
Desbarolles.
Le 3 janvier
1857, un événement sanglant plonge Paris dans la stupeur.
L'archevêque de Paris, Monseigneur
Sibour,
est assassiné par un prêtre interdit, Louis Verger, alors
qu'il inaugurait la neuvaine de Sainte-Geneviève à
Saint-Etienne-du-Mont.
Les deux nuits précédentes, Eliphas avait fait un rêve
prémonitoire qui se terminait pas les
paroles:
"viens voir ton père qui va mourir !". Son père étant
mort depuis longtemps, il n'en comprit pas
immédiatement
le sens. Le 3 janvier vers quatre heures de l'après-midi, Eliphas
se trouvait parmi les pèlerins qui
assistaient
à l'office au cours duquel l'archevêque devait succomber.
Mais ce n'est qu'en lisant plus tard la
description
de l'assassin dans les journaux, qu'il se souvint d'un prêtre pâle
rencontré avec Desbarolles un an
auparavant
chez Mme A. et qui cherchait le grimoire d'Honorius. Cet épisode
est relaté en détail dans La Clef des
grands
mystères (1861), pages 139 à 151.
Après
trois années passées boulevard du Montparnasse, il va loger
au n° 19
avenue
du Maine vers juin 1857. Cette chambre ensoleillée, qu'il décore
en
mettant
à profit ses talents d'artiste, verra les sept meilleures années
de sa vie.
En 1859,
la publication de l'Histoire de la Magie lui rapporte 1000 Francs, ce
qui est
une somme pour l'époque, et le consacre en attirant à lui
la plupart des
ésotérisants
français (notamment Henri Delaage, Luc Desages, Paul Auguez,
Jean-Marie
Ragon, Henri Favre, et le Dr. Fernand Rozier, que l'on retrouvera
plus tard
aux côtés de Papus). Il connut aussi le cartomancien Edmond
et le
magnétiseur
Cahagnet.
Ci-contre
le pantacle de Trithème, reconstitué par Oswald Wirth
d'après
les indications d'Eliphas Lévi: "Le sage s'appuie sur la crainte
du vrai
Dieu, l'insensé est écrasé par la peur d'un faux dieu
fait à son
image";
c'est là le sens exotérique de l'emblème, mais, selon
le Maître,
il renferme
aussi la formule indicible du Grand Arcane.
(cf. Histoire
de la Magie, page 346)
Sollicité
par ses amis Fauvety et Caubet, il se fait recevoir maçon. Initié
le 14 mars 1861 dans la loge Rose du
parfait
Silence, dont Caubet était le Vénérable, il déclare
dans son discours de réception:
"Je viens apporter au milieu de vous les traditions perdues, la connaissance
exacte de vos signes et de
vos emblèmes, et par suite, vous montrer le but pour lequel votre
association a été constituée..."
(CAUBET, Souvenirs, Paris, 1893).
La cérémonie
eut lieu en présence d'un grand nombre de Frères à
qui il tenta d'expliquer que le symbolisme
Maçonnique
est emprunté à la Qabbale. Mais ce fut peine perdue, on ne
le crut pas.
Entre temps,
Mle Eugénie Chenevier et son fils étant revenus à
Paris, Eliphas fait savoir qu'il désire s'occuper de
l'enfant.
La mère cède à ce désir, mais une brouille
survient en 1867 pour des questions d'argent et il ne reverra plus
ni la
mère, ni le fils jusqu'à sa mort. En 1861, il publie La Clef
des grands mystères, dernier volet de la trilogie
commencée
avec Histoire de la Magie et Dogme et rituel de la Haute Magie.
Le Maître
travaille beaucoup, initiant aux
Sciences
occultes des érudits appartenant à la
plus haute
aristocratie, et même l'évêque
d'Evreux,
Mgr Devoucoux, à qui il donne de
leçons
de Qabbale. Grâce à l'argent perçu en
rémunération
de ses leçons, il vit dans un
relatif
confort matériel, enrichissant sans cesse
sa bibliothèque.
Avec le comte Alexandre
Branicki,
hermétiste, il réussit quelques
expériences
probantes du Grand Oeuvre dans
un laboratoire
installé au château de
Beauregard,
à Villeneuve-Saint-Georges. Ce
château
appartenait à la veuve d'Honoré de
Balzac
et Eliphas devint aussi bientôt l'ami du
beau-fils
de Madame de Balzac, le comte
Georges
Mniszech. Le château, saccagé par
les prussiens
en 1870, est aujourd'hui la mairie
de Villeneuve-Saint-Georges.
Ci-contre, Alphonse
Chenevier, fils d'Eliphas
Lévi et d'Eugénie
Chenevier.
En mai
1861, il retourne à Londres, accompagné du comte Alexandre
Branicki, passer quelques mois auprès de
Bulwer-Lytton,
arrivé à la tête de la Rosicrucian Society of England
cette année-là. Au cours de ce deuxième
séjour,
Eliphas Lévi rend plusieurs fois visite à Eugène Vintras,
qui lui avait envoyé deux de ses disciples pour
l'inviter
des années auparavant. Il le considère non pas comme un prophète,
mais comme un médium singulier, un
intéressant
sujet d'études, et lui achète même son livre L'Evangile
Eternel.
En juillet
1861, le baron italien N-J Spedalieri avait acheté chez un libraire
de Marseille le Dogme et rituel de la
Haute
Magie et décidait de prendre contact avec l'auteur. S'ensuivit une
correspondance de plus de 1000 lettres
qui dura
du 24 octobre 1861 au 14 février 1874. C'est un cours de Qabbale
unique, précis, rempli de figures
explicatives
et d'anecdotes. Spedalieri fut l'un des plus importants "mécènes"
du professeur de Sciences occultes.
Rentré
à Paris, Eliphas Lévi publie Le Sorcier de Meudon, dédié
à Mme de Balzac. Depuis son retour de Londres,
il assiste
régulièrement aux réunions maçonniques de la
loge Rose du parfait Silence. Le 21 août 1861, on lui
confère
le grade de Maître. A la suite d'un long discours sur les Mystères
de l'Initiation qu'il prononça le mois
suivant,
un Frère, le professeur Ganeval, ayant voulu présenter quelques
observations sur ce qui venait d'être dit, se
heurta
aux protestations d'Eliphas, qui se retira et ne reparut plus en loge.
Les tentatives de Caubet pour le faire
revenir
sur sa décision le lendemain furent infructueuses. La loge Rose
du parfait Silence sera mise en sommeil en
1885,
mais n'y cherchons peut-être pas, comme Oswald Wirth, une relation
de cause à effet.
"J'ai cessé d'être Franc-Maçon parce que les Francs-Maçons,
excommuniés par le Pape, ne croyaient
plus devoir tolérer le catholicisme". (Le Livre des Sages)
Le 29 août
1862 paraît Fables et symboles, ouvrage dans lequel Eliphas Lévi
analyse les symboles de Pythagore,
des Evangiles
apocryphes, du Talmud...etc... Quelques fois il fréquente incognito
les réunions spirites pour se
documenter.
Pierre Christian, auteur de l'étrange roman L'Homme rouge des tuileries,
fut le voisin et l'ami
d'Eliphas
et profita de ses entretiens et de ses leçons toutes bénévoles.
En 1863 meurt Louis Lucas, chimiste initié
aux secrets
d'Hermès, disciple de Wronski et ami d'Eliphas. Ses écrits
contiennent la première synthèse scientifique
qui allie
Science occulte et sciences expérimentales. Il était l'inventeur
d'un appareil capable de mesurer l'équilibre
du magnétisme
vital, qu'il appelait le biomètre. Cet appareil a trouvé
depuis une bien curieuse utilisation: il fait
partie
de la panoplie des scientologues !
Le 15 mai
1864, Eliphas déménage dans un trois pièces au 2ème
étage du n° 155 rue de Sèvres, sa dernière
demeure.
En 1865 paraît La Science des esprits, recueil d'essais traitant
à nouveau du symbolisme des Evangiles
apocryphes,
du Talmud, ...etc...(absolument rien à voir avec le spiritisme).
A l'été 1865, l'éditeur Larousse lui
demande
d'écrire quelques articles de Qabbale pour son Grand Dictionnaire.
Il travaille en même temps à un
ouvrage
superbe, mais d’une valeur historique contestable, Le Livre des splendeurs
, qui traite surtout de la
Qabbale
du Zohar et qui ne paraîtra qu’après sa mort. A cette époque
il commence à ressentir souvent des douleurs
névralgiques
à la tête, qui le font beaucoup souffrir. Durant le siège
de Paris en 1870, sa vie fut des plus pénibles
car les
communications avec la province étant coupées, il ne pouvait
plus recevoir de subsides de la part de ses
élèves.
La dureté de son service comme Garde National révèle
une maladie de cœur. Une fois la Commune
terminée,
le Maître totalement dénué de ressources une fois de
plus, trouve chez une de ses élèves, Mme Mary
Gebhard,
qui habitait Elberfeld en Allemagne, une longue et chaude hospitalité.
Les événements lui inspirent
quelques
pensées qu'il réunit sous le titre Les Portes de l'Avenir.
A son retour d'Allemagne, il apprend la mort de la baronne Spedalieri.
La mort de sa
femme affecte tellement le baron qu'il se croit devenu matérialiste
et athée et finit par se
détourner du Maître. En décembre 1871, Eliphas Lévi
termine un autre manuscrit: Le
Grimoire Franco-Latomorum, consacré à l'explication des rites
de la
Franc-Maçonnerie. A l'automne 1872, son ex-femme, écrivain
et sculpteur désormais
reconnue, se marie avec le député de Marseille, Maurice Rouvier,
qui deviendra
ministre du commerce. Sa santé continue de se détériorer.
A cause d'une maladie de
cœur il est sujet à des évanouissements au cours desquels
il dit avoir des visions
extatiques. Pendant l'année 1873, il achève le manuscrit
de L'Evangile de la Science.
Ci-contre, le baron N-J Spedalieri.
En novembre
1873, Judith Mendès, fille de Théophile Gautier, avait eu
besoin pour un de ses romans orientaux, de
renseignements
sur la Qabbale chaldéenne. La renommée l'avait conduite tout
droit chez Eliphas Lévi, qui invité un
jour chez
son père, avait prédit à la jeune fille ses succès
de jeune femme en lisant dans sa main. Son mari Catulle
Mendès
présenta Eliphas à l'écrivain Victor Hugo, qui paraît-il
connaissait les ouvrages du Qabbaliste et les avait
même
appréciés.
L'année
1874 fut très douloureuse à passer: une bronchite assez grave,
des étouffements, et une fièvre persistante ne
lui laissèrent
presque aucun repos. Ses jambes s'enflèrent peu à peu et
une sorte d'éléphantiasis se déclara bientôt.
En janvier
1875, le Maître achève son dernier manuscrit: Le Catéchisme
de la Paix. Le 31 mai 1875, il s'éteint au
n°
155 rue de Sèvres, à l'âge de 65 ans. On l'inhuma au
cimetière d'Ivry, une simple croix de bois marquant
l'emplacement
de sa tombe. En 1881, son corps fut exhumé et ses restes placés
dans la fosse commune.
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Remerciements
à M. Paul Chenevier, descendant direct d'Eliphas Lévi, pour
son précieux complément
d'informations:
Alphonse Chenevier (nommé Xavier Henri Alphonse Chenevier), fils
d’Eugénie, n’a pas été reconnu par son père
naturel, et est donc né « de père inconnu » pour
l’état-civil. Il fut élevé principalement par son
oncle (Pierre
Lemaître, époux de la sœur d’Eugénie), car sa mère,
pour subvenir à ses besoins et à ceux de son fils, a été
travailler en Angleterre comme gouvernante et professeur de français;
en 1860, il passa un an chez son père
naturel, qui était lui-même séparé de sa femme
(Noémi Cadiot) depuis 7 ans (un an avant la mort de leur fille
Marie, mort qui affecta la santé mentale de Noémi). La brouille
définitive qui intervint en 1861 entre Alphonse
Constant et Eugénie Chenevier (pour une sordide histoire d’argent)
le sépara de son père, qu’il ne revit que sur
son lit de mort. En 1865, Mme Constant obtint devant un tribunal civil
un jugement en nullité du mariage
qu’elle avait contracté, au titre de ce que l’état religieux
d’Alphonse Constant interdisait le mariage (loi
organique du Concordat de Germinal an X). De fait l’acte de mariage n’existe
plus. Devenu mécanicien-serrurier
(dépanneur de coffres-forts chez Fichet), Alphonse Chenevier se
maria à Marie Octavie Lefèvre, fleuriste de son
état, en 1868, et eut une fille en 1869, Marguerite (qui mourut
en 1901). Le 6 novembre 1888, 19 ans après
Marguerite, naquit leur fils, Pierre Chenevier, à Paris, dans le
15ème arrondissement (Cité Talma, devenue
aujourd’hui la rue Dalou). Pierre fut probablement un "cadeau tardif "
de la Providence pour ses parents, car
sans lui, Eliphas Lévi n'aurait eu aucune descendance directe (ou
connue).
Pierre Chenevier fut un élève studieux, et brillant. Il passa les grands concours (Polytechnique, Normale), et choisit l’École Normale de Mathématiques. Devenu professeur, il fit une carrière brillante, enseigna les mathématiques spéciales à Louis Le Grand assez jeune, et ses livres de cours de mathématiques, qui eurent un succès considérable en librairie scolaire dans les années 30, furent tenus pour des valeurs sûres jusqu'au début des années 50. Devenu inspecteur général, il fut mis en retraite anticipée à la Libération pour avoir occupé un poste technique au ministère de l’Éducation Nationale sous Vichy. Il mourut le 8 novembre 1977. Pierre Chenevier eut 4 enfants: Jean, Hélène, Henri, et Claudette. Jean, né le 30 avril 1918, eut une scolarité très brillante, sortit major de l’École Polytechnique en 1939, et fit une carrière marquante dans l’industrie pétrolière entre 1947 et 1978, tout en participant activement à des activités extra-professionnelles (et bénévoles) tournées vers la formation et la prospective (il fonda entre autres l’Institut de l’Entreprise avec François Dalle, et présida le CRC – Centre de Recherche des Chefs d’ Entreprises – pendant plus de 20 ans). Marié en 1941 à Andrée Dontot, plus jeune agrégée de mathématiques de son temps, il eut neuf enfants (tous vivants). Jean mourut le 20 juillet 1998, dans sa 80ème année, dans la confiance d’une foi chrétienne rayonnante, mise à l’épreuve de la maladie (Parkinson).
Jean était mon père (je suis le troisième des 9 enfants), et le portrait d’Éliphas Lévi, peint par Ch. Revel en 1874, est toujours chez notre mère, à Versailles. Par la ligne d’Eugénie, la descendance d’Éliphas Lévi représente aujourd’hui plus de 40 personnes, à la sixième génération.
Plusieurs images inédites données par M. Paul Chenevier sont à retrouver dans les albums du site (suivez pour cela le lien ci-dessous).
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