Codex tout puissant
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Pourtant, à Rome, cette année-là. l'OMS et la FAO elles-mêmes ont protesté contre les choix du Codex en matière de vitamines et sels minéraux. Les deux institutions ont produit un rapport intitulé « Régime, nutrition et maladie chronique invalidante », dans lequel elles déclarent que les compléments alimentaires sont essentiels pour la prévention et le traitement des maladies chroniques. Ce texte insiste sur le lien entre nutrition et santé, et conclut que les « maladies chroniques peuvent être en grande partie évitées. Bien que des recherches puissent être nécessaires pour éclairer certains mécanismes, les liens avec le régime alimentaire sont suffisamment prouvés scientifiquement pour justifier de prendre des mesures sans attendre. »
Des évidences que le Dr Rolf Grossklaus, président du comité Codex sur la nutrition et les aliments diététiques ou de régime, a balayées d'un revers de main. Il préféra promulguer des normes qui interdisent l'examen ou la diffusion des avantages sanitaires des compléments alimentaires - au mépris des recommandations des deux organismes dont le Codex dépend... Les intérêts financiers qui sont liés aux normes Codex sont tellement puissants que le Codex peut se permettre d'ignorer et de bafouer, tranquillement, au grand jour et sans aucune conséquence, les recommandations des deux principales organisations mondiales pour l'alimentation et la santé. On dirait que la créature a échappé à ses créateurs.
Additifs à volonté
Autre exemple de l'écart entre les intentions affichées et les décisions effectives, avec le comité Codex sur les additifs alimentaires. Celui-ci entérine l'emploi de produits chimiques, dont la présence dans les aliments industriels constitue à elle seule une preuve de leur médiocrité, si ce n'est de leur nullité aux plans nutritif et gustatif. Pour la plupart, en effet, ces additifs ne servent qu'à masquer le manque de goût et l'aspect douteux des aliments (fruits et légumes, plats préparés, produits transformés...) que l'on trouve en grande distribution. Leur mode de production, de transformation, de transport et d'entreposage leur inflige des dégâts irréparables en terme de qualité, - et ce sont ces dégâts que les additifs servent à dissimuler aux yeux de consommateurs (en redonnant de la couleur, de la texture, du goût...) Quant à leur innocuité, c'est un autre débat; plusieurs d'entre eux sont potentiellement cancérigènes, mais on attend encore que le Codex rédige une directive interdisant ne serait-ce que l'aspartame.
Aspartame blanchi
C'est un service de la FAO, le JEFAC (le Comité conjoint d'experts sur les additifs alimentaires), qui est chargé de décider si ces additifs sont dangereux ou non. C'est lui qui évalue la dose journalière admissible (DJA), c'est-à-dire la quantité d'un additif (exprimée sur la base du poids corporel) qui peut être ingérée tous les jours pendant toute une vie sans effet appréciable pour la santé.
Les experts de la FAO sont donc soit nuls, soit corrompus, puisqu'ils estiment que l'aspartame n'a aucun effet sur la santé, y compris quand on en a ingéré pendant une vie entière... Du reste, on sait que c'est grâce à un petit jeu de chaises musicales que l'administration Reagan, aux États-Unis, a obtenu l'autorisation de l'aspartame de la part de la FDA (Food and Drog Administration), qui s'y était opposée pendant seize ans.
L'EFSA, European Food Safety Authority (L'autorité européenne de sécurité des aliments), estime quant à elle que la quantité quotidienne maximale par personne ne devrait pas dépasser 40 mg/kg. Pendant ce temps, le Codex autorise des quantités maximales de (Source: http://www.codexalimentarius.net/gsfaonline/additives/details.html?id=90 ):
- 1000 mg/kg dans les aliments diététiques (y compris ceux « destinés à des usages médicaux »), les confitures, gelées et marmelades, les céréales pour petit-déjeuner, les desserts (lactés, à base d'oeufs, à base de céréales et d'amidon, à base de fruits et à base de matières grasses), le fromage frais, les fruits cuits, en conserve ou en bocal, les glaces et sorbets, les légumes surgelés, frits ou cuits, en conserve ou en bocal et séchés, les potages et bouillons;
- 1200 mg/kg dans les purées de légumes, les pâtes à tartiner à base de fruits;
- 2000 mg/kg dans les assaisonnements et les condiments, les fruits confits, les fruits secs et les fruits surgelés;
- 3000 mg/kg dans les pâtes à tartiner à base de cacao, les vinaigres, les confiseries, les nougats et pâtes d'amande;
- 4000 mg/kg dans le pain et les produits de boulangerie ordinaire;
- 5500 mg/kg dans les compléments alimentaires;
- 6000 mg/kg dans les succédanés de lait en poudre pour boissons chaudes;
- et 10 000 mg/kg dans les chewing-gums.
Pourtant, il est difficile de vérifier le caractère toxique (et à la longue, potentiellement mortel), de l'aspartame: il y a des livres sur le sujet (Notamment celui de Sylvie Simon, Aspartame, sucre ou poison?, Ed. Trédaniel, 2008), mais ça n'empêche pas l'EUFIC (le Conseil européen de l'information sur l'alimentation) de conclure à l'innocuité de cet édulcorant : « L'aspartame a été déclaré sans danger pour le grand public, y compris pour les diabétiques, les femmes enceintes ou allaitantes et les enfants, par plus de quatre-vingts pays à travers lwe monde ainsi que par des organismes de régulation comme le Comité conjoint FAO/OMS d'experts en aAdditifs Alimentaires des Nations unies (JEFCA) ou la Food and Drug Administration (FDA) étatsunienne. ».
Avec de telles références, nous sommes tranquilles! Là encore, la santé du consommateur n'est qu'un prétexte: il faut d'abord vendre. Informer les gens sur ce qu'ils mangent réellement ne serait pas très utile... bien au contraire: cela pourrait même être dangereux pour l'économie.
« N'allez pas trop loin... »
À cet égard, les choses sont claires - mais à un certain niveau hiérarchique seulement. En voici une illustration. Dans les années 1990, Alain Guillot, qui était le président de la FNAB (Fédération nationale de l'agriculture biologique), a négocié durement avec l'administration française pour obtenir la reconnaissance officielle de l'agriculture biologique. Fin 1995, début 1996, il ferraillait avec les services du ministre de l'Agriculture de l'époque, Philippe Vasseur, Pour obtenir une meilleure information sur les emballages de produits alimentaires. Il n'a pas eu à faire au Codex, mais à un simple fonctionnaire, Gilbert Jolivet, alors président de la Commission nationale des labels et certifications. Un jour, lors d'une discussion de couloir, Jolivet a lancé à Guillot : « En ce qui concerne les additifs et les conservateurs, je ne suis pas sûr que ça soit accepté en haut lieu. » Guillot insiste; Jolivet l'avertit : « Vous voulez dire la vérité aux consommateurs sur ce qu'ils mangent et ce qu'ils boivent? Qu'est-ce que vous cherchez? La révolution? » Guillot lui répond : « Là, on ne va plus être copains... »
Alors Jolivet tente de se faire plus convaincant : il pose fermement la main sur l'épaule de son interlocuteur, le regarde bien au fond des yeux et lui dit : « N'allez pas trop loin. N'allez pas trop loin. »
Cette anecdote, rapportée par Alain Guillot, rejoint de nombreux autres cas de menaces proférées contre des individus qui ont essayé de remettre en cause certains scandales méconnus mais très lucratifs et bien protégés (dans le domaine alimentaire comme ailleurs).
Contrôler nos vies
Finalement, la santé est bel et bien au coeur des enjeux que le Codex est chargé de défendre. Sauf que ce n'est pas exactement la qualité de ce que nous mangeons qui est contrôlée (sans quoi des dizaines de produits phytosanitaires et d'additifs alimentaires auraient été interdits depuis longtemps). Il s'agit, pour l'industrie agroalimentaire et agrochimique, de s'assurer que nous ne pourrons pas nous nourrir autrement que comme elle l'a décidé. Pour cela, il faut donc faire disparaître les produits alimentaires qui ne sortent pas des usines des multinationales de l'agrobusiness. C'est là qu'intervient le Codex Alimentarius; c'est à cela que ses normes vont servir: sous couvert d'assurer la qualité de notre alimentation, assurer la prise de contrôle absolue de quelques groupes sur la totalité de ce que nous avons le droit et la possibilité de manger. Il s'agit de contrôler « les approvisionnements en nourriture du monde, de la ferme à la fourchette », comme dit encore P.A. Taylor. Il poursuit : « En contrôlant l'accès à l'allimentation saine et aux médecines naturelles, les intérêts économiques derrière le Codex veulent contrôler toutes nos vies. » Selon lui, « en contrôlant, et en limitant, l'accès à des aliments et compléments alimentaires sains et sûrs, le Codex, en fin de compte, protège surtout les intérêts des grandes multinationales pharmaceutiques. Pour cette industrie, tout ce qui développe la bonne santé, aux dépens de la maladie, est une menace directe au développement des ventes de médicaments chimiques synthétiques, brevetées ».
Maladie business
C'est ce que Paul A Taylor (et d'autres) appelle « le commerce avec la maladie »; une sorte de « maladie business »... « La santé optimale et la bonne nutrition sont des menaces pour le commerce avec la maladie de l'industrie pharmaceutique, parce qu'elles réduisent le marché des produits alimentaires synthétiques. Une alimentation libre de résidus de pesticides, d'additifs artificiels et autres contaminants dépend par définition de la diminution globale, voire idéalement d'une élimination totale, de ces produits chimiques dans l'alimentation. Une telle évolution ne peut évidemment pas être dans l'intérêt des entreprises pharmaceutiques et chimiques qui les fabriquent. »
L'industrie pharmaceutique, affirme encore P.A. Taylor, « n'a rien d'une industrie de santé, mais ne s'intéresse qu'au retour sur ses investissements. Tout en prétendant promouvoir la santé dans le monde entier, toute sa stratégie vise en fait à développer les maladies pour créer des marchés pour ses médicaments brevetés ». Au final, conclut P.A. Taylor, il apparaît que « ces multinationales chimiques et pharmaceutiques, qui produisent aussi des additifs alimentaires et des pesticides synthétiques [ et autres produits phytosanitaires chimiques pour l'agriculture ], qui peuvent être brevetés puisqu'ils n'existent pas dans la nature, veulent contrôler notre santé d'une façon et dans une mesure que personne n'aurait jamais pu imaginer auparavant ». Comme a dit Henry Kissinger : « Contrôlez le pétrole, vous contrôlerez les nations, contrôlez la nourriture et vous contrôlerez le peuple. » Pour le pire.
Alexandre Rougé
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